Procès des Viols de Mazan : « La honte a changé de camp »

Le fort retentissement du procès de Dominique Pelicot et de cinquante hommes accusés de viol est tel qu’il pourrait annoncer un tournant dans la lutte contre les violences sexuelles contre les femmes.

Dans les médias ou les conversations familiales ou amicales, le procès des “viols de Mazan”, est omniprésent.

Dominique Pelicot et cinquante hommes y sont jugés par la cour criminelle départementale pour le viol de son ex-épouse, alors qu’elle était droguée et inconsciente.

Gisèle Pélicot, visage emblématique de la lutte contre les violences sexuelles

Le fait que Gisèle Pelicot ait demandé que les audiences ne se déroulent pas à huis clos, pour que« la honte change de camp » marque un tournant.
D’habitude lors de ce genre de procès, ce sont les victimes qui ont peur. Là, ce sont les accusés.
Gisèle Pelicot rompt avec l’image que se fait le grand public d’une victime de viol : Elle est atypique par son âge, car la majorité des victimes de viols sont des enfants ou des adolescents. Elle vient aussi barrer la route à tous ceux qui trouvent que les victimes expriment trop leurs émotions lors des audiences. Elle casse le cliché de la victime éplorée : cette petite dame se tient droite et tient admirablement la barre. C’est une victime debout, battante, qui impose de la dignité dans la cour criminelle.

En quoi ce procès est-il différent ?

Tout d’abord, ce procès a mis à mal un certain nombre d’idées reçues :

  • Les crimes sexuels sont souvent commis par des hommes marginalisés

Ici, les 51 accusés de l’affaire représentent un échantillon de la population française masculine. Ils sont ouvrier, instituteur, pompier, journaliste, étudiant, chauffeur routier, gardien de prison, infirmier, retraité, conseiller municipal. Ils ont entre 26 et 74 ans. Cela conforte ce que les spécialistes des violences sexuelles savent depuis longtemps : les auteurs de viols appartiennent à tous les milieux sociaux, ne sont pas majoritairement des marginaux et n’ont pas de profil type. Ce sont des hommes ordinaires.

  • Le violeur a forcément un casier.

Dans le procès de Mazan, la majorité d’entre eux étaient inconnus de la justice.
Les délinquants sexuels sont le plus souvent des primo délinquants. »

  • Le viol est un acte pulsionnel.

Or, ce procès ne montre-t-il pas l’inverse, que les violeurs développent des stratégies pour arriver à leurs fins ?
Si certains sont commis dans une sorte d’immédiateté et donc sans préméditation, d’autres comme ceux de Mazan, ont été préparés. Les auteurs ont adopté une tactique pour arriver à leurs fins.

 

♠ Ensuite, l’attitude de Gisèle Pelicot, au cours de ce procès, montre qu’une victime n’est pas forcément terrassée par la honte, mais qu’elle souhaite que les viols qu’elle a subis soient dévoilés au grand jour.

Ce procès reste extraordinaire, parce que Gisèle Pelicot face aux attaques des avocats de la défense et leurs paroles choquantes rabroue elle-même les avocats de la défense et dit quand cela va trop loin. On est en face d’une victime qui ne se laisse pas faire et c’est très important comme symbole pour les autres femmes.

Ce procès va-t-il changer la société ?

L’élan de solidarité à la fois sur les réseaux sociaux et lors de la manifestation du 14 septembre où 10 000 personnes ont défilé pour soutenir Gisèle Pélicot a fait évoluer le fait divers sordide, en procès historique qui ébranle toute la société française, sept ans après le lancement de #Metoo.
Si ce procès a une telle résonance, c’est d’abord parce qu’il prouve à quel point les violences sexuelles sont répandues dans notre société. Et pour lutter contre les violences sexuelles, la condamnation sociale est hyper importante.
Certains observateurs du procès ne se sont d’ailleurs pas privés de dévoiler l’identité et la photo des accusés sur les réseaux sociaux et dans certains médias Les procès ont toujours un rôle pédagogique de rappel de la loi. Mais celui-ci est particulier, car il montre aux violeurs que non seulement ils peuvent être poursuivis, mais que leur réputation peut être mise à mal. Cela casse le sentiment d’impunité que beaucoup d’entre eux éprouvent.

Reste à savoir si l’indignation collective face au calvaire de Gisèle Pelicot incitera d’autres victimes de violences sexuelles à porter plainte.
Ce procès est aussi révélateur de ce que vivent les plaignantes lors des débats judiciaires. Un avocat a quand même demandé à Gisèle Pelicot si elle n’était pas exhibitionniste. Ce type de maltraitance peut faire peur aux autres femmes victimes.

Les associations féministes soulignent aussi qu’en France, le taux de classement sans suite est de 94 % pour les plaintes pour viol. Par manque de moyens souvent, aucune enquête n’est menée après un dépôt de plainte pour viol. Le mis en cause, dont l’identité est connue dans 80 % des cas, n’est pas convoqué, son portable n’est pas fouillé, les preuves ne sont pas collectées ou sauvegardées. Difficile de prédire donc si ce procès aura un effet amplificateur sur les plaintes pour viols

Ce procès amènera-t-il aussi une réaction des pouvoirs publics ?
Le ministre de la Justice Didier Migaud a déclaré qu’il était favorable à l’idée de faire évoluer la définition du viol en droit français en y intégrant la notion de consentement.
Les associations féministes espèrent un changement plus large. Lors de la manifestation du 14 septembre, elles ont réitéré leur appel en faveur d’une « loi intégrale contre les violences sexistes et sexuelles » qui comprendrait 95 mesures, comme une enquête systématique sur les mis en cause dès lors qu’une plainte est déposée, la formation des juges des cours criminelles départementales, 390 millions d’euros supplémentaires pour les associations d’aide aux victimes, l’interdiction d’enquêter sur le passé sexuel de la victime…
Une demande d’action qui pourrait devenir réalité. Il y a eu des précédents. Après l’affaire de la Manada, ce viol collectif commis par une “meute” de jeunes hommes en 2016, qui avait traumatisé l’Espagne, la loi avait bougé. Depuis, la loi espagnole qualifie de viol les rapports sexuels sans consentement explicite.
En France, l’affaire de Pontoise, à savoir le viol d’une fillette de 11 ans par un homme de 28 ans, a permis d’instaurer un seuil d‘âge à 15 ans en deçà duquel un mineur ne peut pas consentir à une relation sexuelle avec un adulte. L’espoir est donc entier.